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ثقافة Alberto Manguel et le troisième niveau de lecture

نشر في  27 مارس 2020  (14:44)

 Lors de sa venue à Tunis pendant le mois de février 2020, l’écrivain argentin Alberto Manguel s’est attardé, dans la conférence qu’il a donnée à la bibliothèque nationale à l’invitation de la « maison du roman» sur la notion de « troisième niveau de lecture ».

Nous vous livrons ce qu’il avancé concernant cette idée en répondant aux questions du poète et traducteur Adam Fathi qui a soulevé la question de la misère intellectuelle que certains tentent de faire propager. Et à Manguel de répondre comme suit :

« Dans les sociétés de l’écrit, parce qu’il y a des cultures très importantes qui survivent sans l’écrit et il faut faire cette distinction. Dans les cultures de l’écrit, la façon de communiquer, d’être citoyen se fait à travers la lecture et l’écriture mais il y a différentes façons de lire.

Il y a une façon qui vous permet de comprendre les indications, il y a aussi la possibilité de communiquer à un haut niveau avec un texte mais le troisième niveau de lecture, la lecture profonde, la lecture qui vous permet d’être un protagoniste du texte, d’entrer dans le texte, d’être ce personnage implicite dans le texte, avec lequel le texte change et se transforme. Ce 3ième niveau n’est pas encouragé dans la plupart de nos sociétés.

⌠⌠Les écoles devraient être des champs où l’imagination peut courir librement, peut se développer. Mais au lieu de ça, c’est des écoles qui se transforment en lieu d’entrainement pour des entreprises, des bureaux.⌡⌡

Pourquoi ? Parce que cet entrainement à la lecture profonde mène à la réflexion. Il y a peu de gouvernements qui veulent avoir un peuple qui est penseur, qui est intelligent. Nos systèmes d’éducation dans la plupart des sociétés sont des systèmes qui veulent éduquer dans la stupidité.

Ils veulent faire que l’enfant perde son intelligence et accepte le langage publicitaire de la société qui étouffe la pensée, qui étouffe l’imagination. Les écoles devraient être des champs où l’imagination peut courir librement, peut se développer. Mais au lieu de ça, c’est des écoles qui se transforment en lieu d’entrainement pour des entreprises, des bureaux. Nous faisons de nos propres enfants des esclaves, c’est un dressage pour travailler dans des usines.

Donc, nous devons, nous lecteurs, faire cet effort de montrer la générosité, la liberté de la lecture et le pouvoir du lecteur. Nous lecteurs, avons des pouvoirs extraordinaires qui nous permettent de transformer le monde, de récupérer l’expérience passée, de la traduire en expérience future et faire de sorte que nous puissions habiter un monde, pour nos enfants, un peu plus juste, un peu plus heureux.

Adam Fathi pose alors une question sur la difficulté du lecteur de trouver du temps mort ( وقت مستقطع ) pour lire dans un monde phagocyté par les jeux vidéos. Alberto Manguel s’élève alors contre l’expression « Temps mort » en disant ce qui suit :

Surtout pas dans le temps mort, surtout pas l’excuse que nous donnons « je n’ai pas le temps de lire », parce que ce temps nous l’employons dans un tas d’autres choses et nous faisons un choix.

Mais je vais revenir sur ce que vous disiez. Ce n’est pas la faute de la technologie, chaque époque a sa nouvelle technologie. Nous sommes dans une technologie très riche qui nous permet d’accéder à des centaines de milliers de choses, qui nous permet de communiquer à travers la voix, l’image, le texte, tout ça combiné et qui, si elle est bien employée, peut servir à la création artistique ou à la révolution politique. Nous savons jusqu’à quel point l’électronique a servi pour le mouvement révolutionnaire.

Le problème c’est que nous prenons la question de la lecture hors contexte. Nous disons « Ah ! Les jeunes ne lisent pas », « Comment dois-je faire pour que mon enfant devienne lecteur ? » A ce propos, on ne peut pas faire qu’une personne devienne lectrice. On ne peut pas obliger quelqu’un à tomber amoureux ! Vous pouvez lui présenter 40 mille personnes, s’il n’y a pas le déclic, ça ne se fait pas.

⌠⌠La société de consommation, pour survivre nécessite d’imposer deux valeurs : la valeur de la facilité et la valeur de la rapidité. Tout ce qui est rapide et facile : c’est bon. Or la lecture est une entreprise longue et difficile dans le sens que donnaient les anciens à la difficulté. Un chemin est difficile pour atteindre le plaisir. Et il n’y a pas de chemin facile, ni aux cieux, ni à l’atteinte de nos amours ou de nos meilleures résolutions.⌡⌡

Donc c’est une question de lui « communiquer votre passion » et ça peut arriver 1 cas sur 10 mais déjà vous avez créé un autre lecteur par votre passion. Mais à cela s’ajoute un problème très grave.  Je disais que nous prenions la question hors contexte. Le contexte est de la société toute entière. Nous sommes dans une société de consommation et cette société de consommation nécessite des citoyens idiots qui peuvent dépenser 500 dollars pour une paire de jeans déchirée. Il faut que cette personne ne réfléchisse pas, or les lecteurs réfléchissent, un vrai lecteur ne le ferait pas, se demanderait comme le disait les romains « A chi buono ? (A qui bénéficie ça ?)

Mais cette société de consommation, pour survivre nécessite d’imposer deux valeurs : la valeur de la facilité et la valeur de la rapidité. Tout ce qui est rapide et facile : c’est bon. Or la lecture est une entreprise longue et difficile dans le sens que donnaient les anciens à la difficulté. Un chemin est difficile pour atteindre le plaisir. Et il n’y a pas de chemin facile, ni aux cieux, ni à l’atteinte de nos amours ou de nos meilleures résolutions.

Donc comment vendre un produit qui est long et difficile dans une société qui se vante de la facilité et de la rapidité. Vous n’allez pas réussir. C’est peut-être une question de contagion de passion mais il n’y a pas de solution unique à la lecture si nous ne changeons pas la société dans laquelle nous vivons.

Et à Adam Fathi d’anticiper une réponse : Par la lecture ?

Par la lecture, c’est un moyen mais il faut aussi prendre ses responsabilités. La lecture n’est pas comme vous le savez de s’allonger avec un livre et passer le temps. Avec La lecture, on met le nez dans la réalité et nous sommes dans une réalité : nous sommes en train de détruire le monde. Les scientifiques nous l’ont déjà dit : la date est déjà dépassée et nous continuons à faire la même chose avec des excuses qu’un enfant n’accepterait pas. Comment changer ça ?

Je n’ai pas de solution : Je continue à lire, je continue à avoir de l’espoir, car je vois ces jeunes qui lisent et peut-être ils vont trouver une façon de survivre mais je sens à, chaque fois que je parle à un public, je me dis de m’excuser de ma génération devant les jeunes pour le monde que nous lui laissons.

Adam Fathi demande alors à Alberto Manguel de nous éclairer sur la « méthode » en citant le livre de ce dernier « La méthode de Schéhérazade ou les pouvoirs du roman » et en demandant s’il y a la méthode Homère ou la méthode Dante ? L’écrivain argentin répond ce qui suit :

Là encore, nous revenons à l’étiquetage, qui est très utile pour faciliter la conversation surtout dans une bibliothèque ou une université. La littérature est en fait toutes ces choses-là : L’épopée de Gilgamesh, les romans, les récits, histoires, poésies. Nous ne devons pas, ce n’est pas utile de diviser les genres de littérature. Borges a lutté toute sa vie contre ça en écrivant des fictions qui semblaient des essais, des essais qui prenaient des éléments de fiction, des poésies qui racontaient des histoires, etc.

 La méthode Schéhérazade est tout simplement une méthode de survie. Nous comme espèce, avons développé depuis la nuit des temps, le pouvoir de l’imagination et ce pouvoir nous permet de survivre dans le monde en créant des expériences sans les avoir. C’est-à-dire en imaginant ce qui est au-delà de l’horizon, ce qui va se passer si nous mettons la main dans le feu sans arriver à le faire.

⌠⌠Dans le cas de Schéhérazade, c’est sa vie à elle qui est en cause, mais pour nous tous, raconter des histoires nous aide à survivre. Nous le savons, dans les camps de concentration, dans les prisons, au milieu des guerres, le fait de raconter des histoires, de dire de ma poésie, est une façon de survivre.⌡⌡

Et cette imagination et cette création d’expérience dans l’imagination nous mène à raconter des histoires. Et donc la méthode de Schéhérazade à raconter des histoires est vraiment une méthode de survie.

Dans le cas de Schéhérazade, c’est sa vie à elle qui est en cause, mais pour nous tous, raconter des histoires nous aide à survivre. Nous le savons, dans les camps de concentration, dans les prisons, au milieu des guerres, le fait de raconter des histoires, de dire de ma poésie, est une façon de survivre.

J’étais, il y a fort longtemps en Irak et au Yémen et dans le danger le plus grand, dans la misère la plus grande, les gens se réunissaient et se disaient des poèmes. La même chose est arrivée en Colombie pendant la guerre des narcotrafiquants.

 Il y a quelque chose dans la littérature que je n’arrive pas à définir qui nous donne de l’espoir en nous disant « Nous sommes capables d’imaginer mieux, d’imaginer au-delà de la situation que nous vivons maintenant et peut-être ça nous sauvera mais ce n’est pas garanti ».

Chiraz Ben M’rad